Prologue (extrait)
Il existe des journées dont on sait, dès les premières secondes, qu'elles laisseront une cicatrice.
Celle-là avait commencé dans un silence tellement lourd qu'on aurait cru entendre battre les murs. Pas un oiseau, pas un souffle de vent, juste cette clarté blême qui précède parfois les orages, ou les drames.
Je m'étais vêtue sans réfléchir. Un manteau noir - je l'avais depuis des années - qui sentait un peu le camphre et les souvenirs, et un châle trop fin, que j'ai regretté dès la sortie de la voiture. Le froid était étrange ce jour-là, pas mordant, non, mais sournois, il s'insinuait dans les os, comme un soupir glacial.
La cérémonie avait lieu dans une petite église, en pierre claire, nichée entre deux cyprès tordus. Il y avait là une vingtaine de personnes, au grand maximum, certaines que je connaissais, d’autres que je n’avais jamais vues. Chacun semblait jouer un rôle : les yeux rougis mais secs, les gestes retenus, les murmures étouffés comme s’il fallait taire jusqu’à la douleur.
Le cercueil était posé là, au centre, comme un navire échoué. Bois mat, sans vernis, presque nu. On aurait pu croire qu’il dormait, ou qu’il attendait quelque chose. Il y avait dessus un bouquet, maladroit, trop chargé, comme s’il fallait rattraper, en fleurs, ce que les mots n’avaient pas su dire.



